« Lesa Hall » buzz : Pourquoi on doit pencher pour un fake…
J’ai découvert comme beaucoup d’entre vous les premiers posts de ce shooting hilarant la semaine dernière. Pour ma part, ma source fut PetaPixel. J’ai donc pris le temps de lire, d’aller sur Facebook (la source de ces photos) pour comprendre de quoi il était question.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas l’histoire, samedi 13 janvier 2018, Pam Dave Zaring poste sur son compte facebook les photos renvoyées par une photographe professionnelle missionnée pour effectuer une série de photos de famille. Cette séance lui a été facturée €250. Ce n’est pas trop le montant qui a soulevé la polémique mais plus le résultat final. Jugez plutôt.
Vous pouvez accéder à sa page Facebook pour découvrir les autres clichés de la série.
Zaring affirme : « ce n’est pas un Fake ». Heureusement qu’elle nous le précise. On aurait pu croire le contraire.
Comme vous pouvez le voir, les visage sont lissés et le contour des yeux et de la bouche sont redessinés. Une retouche quasi surréaliste.
En moins de quelques heures, son post Facebook devient viral et cumule les likes et les partages (plus de 300k !!!), et de nombreux commentaires amusés et indignés.
Puis ce sont les webzines qui prennent le relais, suivis des divers autres réseaux sociaux. La mayonnaise a pris. Le buzz est en marche.
Il est vrai que le rendu est sincèrement grotesque, risible. Peut-être trop. Et pourtant tout le monde semble persuadé que cette mesaventure est bien réelle. Il faut dire qu’on se plairait à y croire, histoire de se convaincre que le mauvais goût ainsi que le manque de professionnalisme et de fierté personnelle d’une photographe peuvent être réunis en une seule personne qui ose de surcroit signer de tels clichés de son vrai nom « Lesa Hall ».
Mais Zaring l’affirme : ce n’est pas un fake.
Si elle le dit, c’est que c’est vrai.
Première étape : analyse des images
Selon Zaring, le prétexte de ce traitement exagéré serait dû à des ombres trop dures que la soit-disante photographe Lesa Hall a souhaité corriger.
Et là je m’interroge.
Prenons le temps d’analyser quelques images :
- on peut voir que – malgré tout – les photos sont relativement bien exposées. On distingue clairement du détail dans les ombres (pantalon sombre, banc, sandales noires, etc…) comme dans les zones plus claires (la chemise blanche étant un élément indicateur probant car renvoyant beaucoup de lumière mais qui ici garde du détail). Il est certain qu’une correction de +1EV ou qu’un coup de flash aurait permis de déboucher çà et là, surtout en redonnant du contraste aux visages, mais cela dit, rien de dramatique en soi.
- les têtes des deux chiens sont également de bons indicateurs de l’exposition de la scène, tout du moins au niveau des ombrages. Là non plus, rien de dramatique puisque l’on distingue nettement les détails situées dans les zones sombres.
- de même, les sujets sont placés en pleine lumière (et non à l’ombre), les visages étant donc bien éclairés (probablement trop, ce qui généralement dans ces conditions provoque des yeux plissés et plutôt des surexpositions). Vu la position du soleil par rapport aux sujets (soleil assez zénithal), seule l’ombre de l’arcade pouvait dans ces conditions se révéler être assez dure. Mais bon, cela aurait pu être pire. Si le shooting a été effectué en RAW, on peut aisément rattraper quelque peu ce genre d’écart en débouchant légèrement les zones d’ombre. Si on regarde les jambes ou bras « non retouchés » (massacrés), on perçoit simplement un manque de contraste.
- seule remarque critique (je me répète) : pour une « pro », on peut s’étonner du choix de ne pas avoir utilisé – en plein soleil quasi zénithal – un flash pour déboucher/atténuer les ombres, ou encore de ne pas avoir choisi un autre moment de la journée afin d’éviter une lumière trop dure.
- un indice révèle toutefois une possible origine : celle d’un mobile. En effet, dans le post original du compte Facebook de Zaring, outre la profondeur de champs typique d’un petit capteur, on distingue nettement une répétition du décor grossière, manipulation opérée par certains logiciels de traitement photo pour Smartphone afin d’agrandir/recadrer l’image…
Deuxième étape : investigation sur la toile
Il y a bien longtemps que je ne me contente plus d’une simple affirmation, surtout lorsque cela vient de la toile et que l’aspect viral prend le dessus.
On peut – on se doit de – se poser légitimement la question : « c’est tellement énorme que cela en parait douteux »
Généralement j’effectue avant de réagir une recherche. Puis plusieurs si le doute s’est installé dans mon esprit.
Mon premier réflexe a été de rechercher sur internet des pages de cette fameuse photographe : « Lesa Hall » . Choux blanc ou presque. Pas de photos d’elle. Pour ma part, cela me parait impossible à croire.
Je tombe néanmoins sur le profil LINKEDIN d’une pauvre New-Zélandaise. Je dis pauvre car elle doit certainement ne pas trop comprendre pourquoi son profil a été consulté des milliers fois en quelques heures… enfin, si les internautes prennent la peine de faire ce type de recherche ; ce que je doute fortement, la grande majorité se contentant généralement de ce qu’on leur donne, réagissant jusqu’à la déraison, sans prendre la peine de se remettre en question ni de rechercher.
Puis je trouve un compte Pinterest… vide (0 abonné et 63 abonnements), peut-être créé récemment.
Je tombe enfin sur un compte Facebook au nom de Lesa Hall qui arbore fièrement ces images grotesques. Il semble avoir été créé le jour même de ce fameux post viral (le 13 janvier).
On sent clairement le ton décalé/parodique. Cette page a été probablement créée afin de profiter de l’aspect viral de toute cette histoire.
Comme quoi certains ne perdent pas le nord. #opportunisme
Mise à jour : j’ai finalement pu retrouver un compte LinkedIn d’une photographe répondant au nom de Lesa Hall du Missouri. Rien de bien concluant. Une page WIX également, mais là encore, on y trouve que quelques photos estampillées « iMagery By Lesa Hall », qui semblent plus extraites d’une série perso que pro. Rien de probant. Bien au contraire. 9 photos en basse def… si vous êtes photographe depuis 2008, pro depuis 2012 et faites des photos depuis visiblement au moins 2004, vous ne postez que 9 photos vous ? De surcroit, certaines ont été inversées comme pour tenter de tromper les outils de reconnaissance d’image tels que Google Images. Enfin, si vous avez encore un doute, voici son email : lhphotos1@gmail.com (tiens, un compte email non traçable !)
Mais le reste est à venir. En recherchant des photos çà et là, je tombe sur quelques clichés réalisés par l’auteure de ce post viral « Pam Dave Zaring ». Son compte Facebook en contient quelques unes :
Il ne fait aucun doute qu’on retrouve là une patte similaire (pose et manière de cadrer). De là à penser qu’elle est l’auteure des photos incriminées et de ce fameux fake… 🙂
Je vous laisse seul juge.
Conclusion
J’ai vu des images pires que celles-ci, je parle bien sûr sans le rendu, juste des conditions de prise de vue. En l’absence des originaux – donc sans ce traitement excessif et grotesque – on a quelques difficultés à imaginer à quoi ces portraits pourraient ressembler. Néanmoins en analysant l’existant, en prenant du recul sur le côté viral, je n’ai aucune raison de croire que ces clichés étaient aussi pourris qu’on pourrait nous le laisser croire ; mais surtout, on est en droit de se raisonner et d’imaginer que tout ceci n’est peut-être qu’un beau fake orchestré par l’auteur du post.
Dans quel but ?
Pour rire ? Se faire de la pub ? Dans un but marketing ?
Nul doute que nous le saurons prochainement.
A suivre…
NB : dans le cas contraire, si cette Lesa Hall existe bel et bien et qu’elle est l’auteure de ces oeuvres d’art, nous ne pouvons que lui conseiller d’abandonner la photo et se jeter corps et âme dans le marketing viral. Elle a sincèrement de l’avenir. Enfin davantage.
A lire aussi l’article et analyse concernant ce buzz sur Phototrend.
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